Par quel foutu hasard

Alors quel est ce hasard qui conduirait à l’ordre ? Un hasard qui organise. Par quel hasard cette astéroïde qui arrache à la terre ce qui sera la lune, et sans lune pas de terre. Bien avant c’était déjà ce drôle de hasard qui agglutinant la matière nous donnait le soleil. Et qu’en est-il de celui des galaxies et du Big-bang ? Et de celui de la vie et des esprits ? Oui qu’en est-il de cet autre qui fait muter les gènes et les épigènes ? De cette farandole de molécules en nous qui construit nos corps et nos esprits ? Est-ce le même ?
Parmi tous ces possibles, pourquoi celui-ci qui m’a donné le jour comme à tant d’autres. Pourquoi nous donner la pensée si ce n’est pour penser l’impensable ? Non cela ne peut être le hasard ou alors pas cette sorte de hasard que l’on connaît par nos mathématiques. Il n’est pas tirage dans une urne. L’univers est émergence, il n’est pas un choix préexistant parmi d’autres préexistants dans une urne des possibles. Chaque unité d’espace temps qui passe est un nouvel univers qui tend toujours vers un nouvel ordre. Certes au loin comme au proche tout semble identique mais rien n’est pareil et ce depuis le début des choses. Alors petit homme que tu parles de Dieu ou que tu parles de science, tu te trompes certainement. Comment ne pas se tromper devant une aussi magistrale création. Et tout cela serait sorti du néant contraction singulière de l’espace-temps. Comme l’homme a eu raison de s’incliner respectueusement, comme il a eu raison aussi de fiévreusement chercher à comprendre, le peu qu’il a compris lui a tant apporté. Peut-être est-ce maintenant le temps d’être humble et de consacrer une plus ample partie du génie dont nous héritons à préserver notre héritage et à le faire fructifier. Comprendre l’ordre des choses et être les égaux des Dieux n’est-ce pas un peu trop présomptueux pour les singes savants que nous sommes, ne serait-ce pas une tâche impossible ? Alors qu’aujourd’hui notre jardin est encore en trop endroits friches, ronces ou sables des déserts. Notre tendre mère la Terre n’est pas notre esclave, nous ne pourrons l’enchaîner. Notre destin comme son destin ne nous appartient pas. Ou nous évoluons ou nous mourrons. Toute jeune espèce parmi tant d’autres disparues aujourd’hui, jamais nous ne saurons ce que devions être, mais il nous faut vivre pour que peut-être un jour d’autres le sachent. Vivre, n’est pas survivre, vivre c’est être libre, liberté que donne la connaissance car elle seule conduit à la réelle humilité. Donnons cette chance aux autres de la Terre de pouvoir contempler l’ordre des choses avec des yeux illuminés de savoirs.

les liens économiques

L’échange de biens et services crée des liens. On distingue dans nos sociétés l’échange marchand qui passe par un paiement monétaire reposant sur un prix, il constitue le lien économique marchand et se gouverne par des règles de marché assises sur des lois et des standards ; de l’échange non-marchand pour lequel la contrepartie monétaire passe par la forme d’impôts et taxes assis sur les transactions, les revenus et le patrimoine des personnes et des entreprises. Entre ces deux extrêmes, il existe un grand nombre de fonctionnements intermédiaires pour des produits sensibles (soins médicaux, services judiciaires, médicaments, armements, énergies, tabac, alcools, jeux…) pour lesquels les activités sont soumises à des prix plus ou moins administrés et des autorisations de vente très réglementées. Quelque soit la forme de financement, l’échange de biens et services crée un lien économique.
Pour les uns il faudrait accroître les échanges de biens et services non marchands, d’autres pensent l’inverse. L’échange marchand est critiqué depuis toujours. Les marchands ne sont que des cupides. Pourtant ils prospèrent depuis des millénaires, plébiscités par des milliards d’échanges quotidiens et des recours en justice très rares. Mais, l’échange marchand a mauvaise presse car depuis toujours il encourage l’envie, le caprice, l’inutile, le futile… Alors que le don de soi sanctifie et purifie, l’échange marchand avilit et corrompt. Cette pensée, très présente dans la doctrine sociale de l’église catholique l’est moins dans le reste de la chrétienté, dans le judaïsme et chez les musulmans. Elle est la voie de l’éveil chez les bouddhistes, qui exige le détachement des choses matérielles et l’oubli de soi. Cette inclination à condamner le lien marchand se retrouve dans la pensée socialiste, marxiste, écologique qui, sans prôner un total détachement du matériel, préfère largement le lien non-marchand pour y pourvoir car il est le seul gage de justice sociale et de protection des faibles. Le marchand serait-il immoral et le non marchand moral ?

Le lien économique qu’il soit marchand ou non, est à la fois complexe parce qu’il repose sur la création, la production et la mise à disposition régulière de biens et services, ce qui exige la mobilisation de personnes et de capitaux dans des organisations complexes, et simple parce que le lien n’existe que s’il y a contrainte ou confiance : contrainte lorsque l’échange s’effectue en situation de monopole ; confiance en régime de concurrence.
La contrainte en la matière vient du fait qu’il n’existe pas d’autre choix que l’offre du monopole.
La confiance est la condition même de l’échange en concurrence car les offreurs sont plus ou moins nombreux et cherchent à se distinguer par leurs différences. Il y a asymétrie d’information entre le vendeur qui connaît son produit et l’acheteur qui souvent ne le connaît pas ou mal, l’échange traduit la confiance que l’acheteur fait au vendeur. Sans choix entre plusieurs offreurs, ce n’est plus la confiance qui se manifeste lors de l’échange, c’est la nécessité qui oblige à l’échange. De nombreuses instances nationales et internationales sont d’ailleurs là pour garantir cette liberté de choix, interdire les ententes et les positions dominantes. Pour l’instant rien de moral ou d’immoral dans tout ceci. Vous avez besoin d’un marteau, soit vous l’achetez à la manufacture qui détient le monopole de la production de marteau, soit vous avez le choix entre plusieurs sociétés qui fabriquent et commercialisent des marteaux. A priori aucune différence, tant que vous êtes satisfait du rapport qualité prix de votre marteau. Mais si vous ne l’êtes pas ou plus alors la différence est grande.

Les services publics issus des droits régaliens de l’Etat : justice, police, armée, sont par essence des services non-marchand, cela ne prête pas à grande controverse et le monopole de l’offre est largement accepté. En revanche le débat est souvent houleux, sur les monopoles naturels liés à l’existence de réseaux ou de ressources naturelles incontournables (rail, voies d’eau, autoroute, réseau électrique, télécommunication, maritime, aérien, mines et gisements) et sur certains services : l’éducation qui, à la fin du XIX devient un enjeu national ; la santé dans la seconde moitié du XX.
L’éducation, est apparu dès les soubresauts post révolutionnaires comme une donnée stratégique. Pour la première fois, on comprenait que la masse mal née engendrait le génie, dont découlait la puissance économique et militaire, la République avait besoin d’ingénieurs. Le savoir, jusqu’alors objet de curiosité et de divertissement réservé aux initiés, toléré par l’église, débordait de son vase pour se répandre sur la multitude qui engendre l’exception. A l’hérédité des conditions humaines succédait l’émergence des conditions. Le savoir aspire de la liberté de pensée et d’expérimenter et expire des connaissances et d’approximatives compréhensions. Savoir construire un pont, un véhicule, un outils quelconque, une loi, une règle, un modèle, un principe ou une théorie, c’est une liberté objective. Mais le savoir est aussi source de contraintes car il trie entre les possibles et les impossibles. Forger les possibles pour vaincre l’impossible ! Telle est sa devise.
Contrôler les savoirs, les transmettre, les trier. Recruter, former, gérer les personnels. Construire, entretenir, équiper des locaux. Bâtir et valider des programmes. Les questions concernant l’école, son contenu, son coût, son efficacité, son mode de financement : privé ; public, sont permanentes. Chacun a sa vérité sur telle ou telle méthode d’apprentissage de la lecture, les esprits s’échauffent facilement car il en va de l’avenir des enfants. Dans la plupart des pays l’Etat contrôle une grande partie du système éducatif et certains n’hésitent pas à considérer la chose comme une extension naturelle des droits régaliens, destinée à garantir le principe d’égalité des chances. Naturellement l’équilibre économique de l’éducation nationale est établi sur un lien économique non marchand. Mais, entre l’école publique à financement non marchand et l’école privée hors contrat à financement exclusivement marchand, il existe une multitude d’écoles et d’établissements sous contrat, qui mélangent financement marchand et non marchand. Le monopole n’étant pas total, il reste différents choix, l’échappatoire est possible. Un certain équilibre s’est instauré. Là encore rien ne permet de distinguer le moral de l’immoral. Pour un service d’éducation ou d’instruction publique, les liens économiques possibles sont nombreux, comme pour le marteau ce qui importe est la satisfaction de l’utilisateur.
La santé est devenue publique lorsqu’on s’aperçut que le germe, la bactérie, le virus existaient. Le mal n’était plus une damnation qui frappe au hasard une personne dont on s’éloigne. Non, le mal pouvait être identifié et éradiquer si, et seulement si l’ensemble d’une population en était vaccinée. Les questions de santé passaient de la sphère privée à la sphère publique La république avait besoin de bras pour tenir ses armes. La République a créé la santé publique financée par prélèvements obligatoires, du non marchand. Parallèlement se développaient les cliniques privées et la médecine libérale. Le tout alimenté en médicaments par des laboratoires marchands, autour de praticiens souvent travailleurs indépendants ou agents de la fonction publique hospitalière. La santé est elle aussi une activité au sein de laquelle coexistent le marchand et le non marchand. Là aussi peu importe pourvu que cela marche. A quel prix, est souvent la question que l’on pose ?

Le travail est aussi un service particulier. Né de la révolution industrielle du XIX, le travail qui jusqu’alors se négociait dans les campagnes à la journée ou à la tâche, se négocie sous certaines règles. On cherche alors à s’attacher la main d’œuvre car l’artisanat industriel exige la formation de compagnons, dont on souhaite la présence régulière. Le travail traduit la mise à disposition volontaire de sa propre personne pendant une durée de temps physique, au profit d’autrui et contre rémunération. Du travail à la criée, on passe au contrat, dans le cadre d’un code du travail en vigueur et de conventions. Quel progrès ! Non quelle aliénation puisque le travailleur produit un surplus que s’accapare le capitaliste ! Et oui il y a dans toute société sophistiquée la part des autres. Il est rigoureusement impossible dans un lien économique durable de ne pas rémunérer l’ensemble des participants : épargnants ; intermédiaires financiers ; fournisseurs ; salariés ; administration. Du travail tout dépend, car depuis l’aube de sa conscience, l’humanité est grégaire et sociale, elle sait qu’elle est plus efficace unie autour d’une stratégie convaincante, que divisée. C’est le surplus créé par les mises en commun de temps au service d’un ouvrage collectif réfléchi qui se partage. Le surplus est engendré par le travail coordonné et l’appropriation du surplus est l’objet de lutte dès qu’une collaboration s’engage. Le débat est passionnel, car effectivement si on n’arrive pas à vendre son savoir-faire, c’est la faim ou pour le moins l’inconfort qui menace. Le débat est tellement passionnel qu’il est plus facile de divorcer entre conjoints que de se séparer d’un salarié. On a le droit de se tromper en amour mais pas au travail. On embauche pour exploiter, on débauche de la misère. Il n’est question pourtant que d’établir des règles claires qui visent à échanger un service assis sur la durée Les conditions de la collaboration et de la séparation devraient être prévues dès la signature du contrat d’embauche, dans des minima légaux liés aux montants des rémunérations pour protéger le faible. Le licenciement est vécu comme un drame car il brise le lien économique qui nous unit aux autres. Or sans lien économique, le lien social se délite rapidement. La lutte prolétarienne est une lutte pour le travail digne, mais surtout stable et bien rémunéré. Les ouvrières et les ouvriers licenciés des usines témoignent de leur passé de travailleur avec sanglots comme d’un âge d’or. Car en même temps que son travail, on quitte ses pires amis et ses meilleurs ennemis. « C’était comme une seconde famille quoi ! ».
La situation des travailleurs est de plus souvent différente suivant qu’ils œuvrent dans le secteur marchand ou non marchand. Les salariés du secteur public bénéficient de la garantie financière de l’Etat Eternel et bien souvent d’un statut de titulaire qui les protège des licenciements. Les politiques passent l’administration reste. L’ensemble des personnes qui œuvrent à des échanges non marchands sont rémunérés par les prélèvements obligatoires. Le citoyen abandonne sa souveraineté de choix au profit de l’administration publique en situation de monopole. La situation du travailleur marchand est différente car il ne bénéficie que de la garantie financière de la personne morale qui l’emploie. Quand elle disparaît l’emploi disparaît, la personne n’est pas titulaire de son poste, et la variable travail est une des variables d’ajustement.
Le lien marchand heurte souvent les consciences parce que le profit individuel le guide. Le grand Adam Smith s’est évertué à montrer que cette recherche égoïste conduisait à satisfaire les besoins collectifs par une main qui est restée malheureusement invisible. Sans doute la destinée collective de l’espèce agit-elle ? Il reste que le lien marchand est de loin le lien économique le plus pratiqué au monde, il a survécu à tous les régimes en temps de paix, comme de guerre. L’humanité est peut-être encore plus futile que ne le redoutent les austères penseurs, elle aime se vautrer dans la consommation. Là encore où est le moral, où est l’immoral. Est-ce immoral d’aller acheter son pain plus cher à sa boulangerie préférée, parce que c’est marchand? Est-ce moral d’être sans le sous aux resto du cœur, parce que c’est non marchand ? La plupart des biens et services que nous consommons sont marchands. Il n’y a rien là ni de morale ni d’immoral parce que le lien économique est amoral, en dehors de la morale, comme le marteau c’est un bon ou un mauvais marteau.
Le lien économique est plus ou moins efficace, équitable ou pas, de monopole ou de marché, plus ou moins marchand, durable ou éphémère, passionnant ou décevant, légal ou illégal, mais il n’est jamais ni moral, ni immoral. C’est là un qualificatif qui lui est étranger comme l’est l’âme au marteau. Il n’est qu’un moyen d’échanger des savoirs faire, de se rendre des services, de construire à plusieurs plutôt que chacun seul dans son coin.
La question du partage du butin est toujours très sensible. Quelle sera la part de chacun et le partage sera-t-il équitable ? Sans parler de ce qui serait juste ou injuste dans l’absolu et de la juste valeur des choses? Le lien économique est équitable tant qu’il satisfait. Pour le marchand l’expression de cette satisfaction s’exprime par la répétition de l’acte d’échange librement consenti dans la limite des ressources. Pour le non marchand, l’état de satisfaction est plus délicat à observer car le choix n’existe pas, on ne peut refuser de payer ses impôts au motif que l’on n’est pas satisfait du service rendu et tenter de changer de fournisseurs, sauf à choisir l’exil. Le citoyen est captif des lois de son pays. En revanche, on parle de sanction des urnes. Les élections sont le rendez-vous du citoyen avec les gestionnaires de l’entité nationale, il élit ses dirigeants. Cette sanction citoyenne n’est possible que s’il y a pluralité de candidatures, c’est-à-dire concurrence. La compétition politique est arbitrée par l’élection dont l’issue désigne les vainqueurs qui se verront confier la charge des liens économiques non-marchands. Les votes sont la richesse du politique, il doit plaire à une majorité qualifiée et c’est lui qui tient les cordons de la bourse collective, les risques de clientélisme sont grands. Le politique évolue dans un régime de concurrence mais ce n’est pas un marché, ni une lutte, c’est une compétition.
Il existe souvent une grande confusion entre les notions de concurrence, de marché, de capital, de libéral, de social. Toutes les sociétés qui produisent des biens et services sophistiqués sont capitalistes dans le sens où une accumulation de capital est nécessaire pour œuvrer. C’est un capitalisme privé lorsque les propriétaires sont des personnes physiques ou morales, c’est un capitalisme d’Etat lorsque les titres appartiennent à l’Etat. L’économie est capitaliste, lorsque se manifeste une accumulation de capital, de marché lorsque les échanges s’effectuent contre un prix librement consenti, administrée lorsque les prix sont fixés par l’Etat. L’économie capitaliste du non marchand est la part de l’activité dédiée aux les investissements et à la production de biens et services financés par les impôts, taxes et cotisations obligatoires. Toute économie capitaliste combine du capital privé et du capital public afin de produire des biens et services dont une part s’échange au prix de marché, une autre part aux prix administrés, le reste est financé par les prélèvements obligatoires. Le débat de politique économique autour du libéralisme ou du socialisme revient à déterminer l’importance de chacune des parts. On est anarchiste ultra libéral lorsque l’on souhaite 100% d’échange marchand, 100% de capital privé, la fin des Etats nationaux ; libéral lorsque l’on souhaite la limitation de l’administré et du non marchand au droits régaliens et aucun capitalisme d’Etat dans le secteur marchand ; plus ou moins social ou socialiste suivant la part des échanges et du capital que l’on désire que l’Etat contrôle ; communiste et anti libéral lorsque la disparition du capital privé, l’extension du non marchand et de l’administré sont souhaitées.
La concurrence quant à elle repose sur la possibilité de proposer des biens et services différenciés. La différenciation est naturellement limitée par les contraintes de coûts, de financement, de faisabilité, d’imagination, la frontière des possibles comme l’appelait Maurice Allais. Elle peut être aussi limitée par des lois et des règles administratives qui régulent les marchés.
Il reste maintenant à dédramatiser les questions et les insatisfactions qui existent autour des multiples liens économiques qui enchaînent nos destinées et à œuvrer pour des liens souples et solides.